Cette gravure publiée en 1850 est la transcription d’un tableau peint par Courbet la même année et présenté au Salon de Paris, dont on a perdu la localisation mais dont il existe une photographie. Elle réunit deux sources d’inspiration importantes de cet artiste puissant qui a bataillé toute sa vie pour faire accepter ses choix. Tout d’abord, le portrait, particulièrement le portrait autobiographique. Ses premiers succès ont été obtenus assez tôt grâce aux nombreuses représentations qu’il a faites de lui-même, y compris à travers d’autres personnages. En 1850 également, il peint le fameux Homme à la pipe, dont le musée Fabre possède une version. Il s’y représente en artiste bohème dans une facture romantique. Dans le portrait de Jean Journet, on peut percevoir une forme d’autoportrait : le chemineau porte à la main le même chapeau et le même bâton de marche que Courbet dans l’Autoportrait au chien noir (1842, Petit Palais). Et le portrait de Jean Journet va lui servir à son tour d’inspiration pour réaliser le chef d’œuvre du musée Fabre, La Rencontre ou Bonjour M. Courbet. Ensuite, l’engagement politique. Enrageant de voir ses tableaux refusés aux expositions officielles, Courbet écrit à son père en 1847 : « On se remue plus que jamais pour détruire ce monde-là. ». Durant la révolution de 1848, il participe à l’aventure de ses amis engagés contre le pouvoir en publiant une gravure en frontispice pour leur revue Le Salut public. Peu après, son groupe d’amis de la rue Hautefeuille (où figuraient notamment Baudelaire et Berlioz) est renforcé par le philosophe Proudhon.Toujours en cette même année 1850, Courbet peint Les Casseurs de pierre que Proudhon qualifiera de « première œuvre socialiste ». Or, Jean Journet (1799-1861) était un fervent partisan du système politique imaginé par Fourier, dont Proudhon, ouvrier typographe, avait corrigé les épreuves du Nouveau Monde industriel et sociétaire en 1829, ce qui l’influencera durablement. Jean Journet se définissait lui-même comme “ apôtre fouriériste ”. Il sillonna la France, la Belgique et le Texas pour prêcher la bonne parole et se lia avec de nombreuses personnalités comme Sand ou Hugo dont on connaît les idées progressistes. Il était un ami proche de Courbet. La gravure n’est donc pas une œuvre de dérision comme on pourrait le croire aujourd’hui en lisant son titre et les paroles de la complainte écrites dans le style exalté des nombreuses œuvres du propagandiste, bien au contraire. Dans La Rencontre, à l’instar de son ami Jean Journet, Courbet se présente donc comme un apôtre apportant les idées nouvelles à la province représentée par le mécène éclairé qui le salue avec déférence, réalisant ainsi son rêve de reconnaissance. Les idées de Courbet l’amèneront à participer activement à la Commune de Paris. Mais, accusé d’avoir participé à la destruction de la colonne Vendôme et condamné à la restaurer à ses frais, il finira ses jours en exil en Suisse, épuisé par ses combats. Difficile d’être à la fois un apôtre du progrès et un artiste officiel…
Marie-Noëlle Véran