Ne cherchez pas cette toile parmi les superbes œuvres de Georges de La Tour présentées au Musée Fabre cet été, mais, nous vous proposons avec ce numéro spécial de ″ La Rencontre ″, une introduction et un prolongement à l’exposition consacrée au Caravage et à ses suiveurs européens, sur le thème de l’ombre et de la lumière. De l’ombre à la lumière devrait-on dire pour Georges de La Tour, ce Lorrain qui sort lentement du néant à partir de 1915 après plus de deux siècles où il disparut dans les ténèbres de l’oubli. Sans se soucier du titre, que voit-on de prime abord sur ce tableau ? Un charpentier à l’œuvre, montrant à son fils les subtilités de son art. Une sorte d’intime connivence se dégage du dialogue muet de leur position rapprochée, du père qui se met à la hauteur de son enfant, du regard admirateur du fils vers son père. Lecture profane qui pourrait se suffire à elle-même tant la tendresse est palpable. Oui, mais ce charpentier, c’est Joseph, et l’enfant, c’est le Christ. C’est lui qui tient – qui détient – la lumière. L’échange n’est pas forcément celui qui apparaît à la première lecture. La lumière représente l’avènement de la source spirituelle qu’il va bientôt répandre sur le monde représenté ici par un artisan dans sa tâche quotidienne. Lecture sacrée qui n’a nul besoin d’auréole pour se faire comprendre.
« Quant à Jésus, il progresse en sagesse, en taille et en grâce devant Dieu et devant les hommes » Evangile selon saint Luc, II, 52
Reste une chose curieuse : pourquoi l’enfant – Jésus – place-t-il sa main devant la flamme ? Il n’y a aucune justification logique à ce geste. La main n’est pas un réflecteur et encore moins, ici, une source de chaleur à laquelle se réchauffer. Elle s’interpose entre la source lumineuse et…le spectateur, c’est-à-dire nous. Il est légitimement possible d’imaginer que cette lumière n’est pas la simple flamme d’une chandelle, mais provient d’une toute autre source. Cette lumière, suffisamment forte pour, par transparence, rougir entièrement les doigts de l’enfant, pourrait même nous éblouir et c’est de cet aveuglement qu’il faut nous préserver. L’aveuglement par les tentations ou les forces du Malin, pour les croyants, par les faux-semblants ou les trop beaux mensonges pour ceux qui ne le sont pas. Lecture symbolique dans tous les cas. Et voilà où réside la maîtrise de Georges de La Tour : la plupart de ses œuvres autorisent plusieurs niveaux de lecture et ce tour de force est réalisé avec une simplicité, une économie de moyens extraordinaire, mais avec cette virtuosité que ne possède que les très grands artistes qui nous font croire à une grande facilité de réalisation.
Jean Paul Spieth