Deux toiles de Manet sont exceptionnellement exposées à Montpellier jusqu’au 23 juin : Le Fifre et Portrait d’Emile Zola. Elles font partie des 78 œuvres prêtées à 34 musées de province par le musée d’Orsay afin d’associer largement le public français à la célébration des 150 ans de l’Impressionnisme (1874 – 2024). Le beau portrait de Zola dans son environnement de travail est un hommage d’Édouard Manet à l’écrivain et critique d’art qui a ardemment soutenu sa peinture contre l’académisme régnant au Salon. Sur le bureau de l’écrivain figure d’ailleurs un ouvrage sur Manet.
Le Fifre, présenté par Édouard Manet pour le Salon de 1866, fut refusé par le jury. « C’est pourtant, écrit alors Zola avec enthousiasme, l’œuvre que je préfère. » S’il prend fait et cause pour Manet, c’est que cette toile lui a fait forte impression, lui révélant « le talent de M. Manet (…) fait de justesse et de simplicité ». Le Joueur de fifre est pour lui emblématique du génie de Manet qui, seul, sait obtenir « l’effet le plus puissant avec les moyens les moins compliqués ». Sur un fond gris et lumineux, « se détache un jeune musicien, (…), pantalon rouge et bonnet de police. » Le personnage est crânement campé de face, jouant de son instrument. Son costume d’enfant de troupe est vigoureusement brossé, en deux couleurs contrastées relevées par le blanc de l’écharpe, veste rouge et pantalon noir, « vu par taches, morceaux simples et énergiques ». Manet cherche à rendre l’énergie particulière à ce jeune musicien en action, non à montrer un morceau de peinture remarquable. Pas de décor, une ombre légère indique à peine l’horizontale du sol.
Aux « douceurs des confiseurs artistiques à la mode » dont il déplore la présence aux cimaises du Salon, Zola préfère l’ « impression du vrai » qui se dégage de cette toile.
Adepte du réalisme en littérature, il retrouve ses propres principes dans la démarche artistique de Manet. Le visiteur entrant dans la salle Canonge où Le Fifre est actuellement exposé, pourra s’amuser à faire l’expérience que proposait Zola : « Regardez les personnes vivantes dans la salle, étudiez les oppositions de leur corps sur le parquet et sur les murs, puis regardez (la) toile de M. Manet. Vous verrez que là est la vérité et la puissance ».
Le choix d’Orsay de prêter ces oeuvres-là et la décision de les accrocher au sein du parcours permanent sont particulièrement judicieux, comme le remarque Michel Hilaire. Cela permet des rapprochements intéressants entre les toiles de Manet et des tableaux de Bazille et Courbet, peintres dont les noms sont associés étroitement à la renommée du musée de Montpellier. Le Portrait de Charles Baudelaire (1848) de la salle Courbet accueille tout naturellement le Portrait d’émile Zola par Manet. Quant à la Petite Italienne chanteuse de rue de Frédéric Bazille (1841 – 1870), elle semblait attendre Le Fifre pour un face à face musical. Enfin ce prêt met en évidence les liens entre les trois artistes et les critiques qui ont défendu la Nouvelle peinture.
Anne MILLAT
Note : Les citations sont empruntées à Écrits sur l’art, Émile Zola, Gallimard – Tel, (1991)