A l’occasion du tricentenaire de la naissance de Joseph-Marie Vien (1716-1809), le musée Fabre nous propose de redécouvrir un des peintres de Montpellier qui ont été à l’origine de la fondation du musée. En effet, Fabre, que Vien avait fait entrer dans l’atelier de David, voulait offrir un écrin au courant classique et néo-classique dont son protecteur fut l’un des principaux initiateurs. Les oeuvres de Vien figurent en nombre dans l’exposition, aux côtés de quelques unes de celles de ses contemporains et de ses élèves. Le portrait qu’en a fait son fils Marie-Joseph en 1804 le présente à l’âge vénérable de 84 ans dans son habit de sénateur d’Empire, comme le soulignent la lettre qu’il tient à la main et un décret du Sénat déployé sur la table. La lettre patente signée de Napoléon 1er, qui le fait prêteur au Sénat, est exposée dans une vitrine du musée Fabre. Quant à sa place éminente de peintre, elle est discrètement suggérée par le titre du gros ouvrage, La Vie des peintres illustres. L’exceptionnelle longévité de Joseph-Marie Vien – qui devait atteindre 93 ans – lui a permis de traverser les bouleversements du Siècle des Lumières et ses régimes successifs, Monarchie, Révolution, Empire. Son talent a été reconnu de façon presque continue de son vivant, et ses cendres ont été transférées au Panthéon où il est le seul peintre à reposer. Comment expliquer un tel succès ? Son premier maître, Jean-François De Troy, dispensait une formation libérale qui permit au jeune artiste de trouver rapidement sa propre voie. Malgré l’enseignement de son deuxième maître Charles-Joseph Natoire, l’un des principaux représentants du style rocaille avec François Boucher et Carle Van Loo, Vien étudia avec attention les oeuvres du XVIIe siècle et se mit à dessiner d’après nature (« la nature, mon unique maître »).
Converti ensuite au goût de l’antique par le comte de Caylus, passionné d’antiquités, il entreprit de donner à la peinture la simplicité de l’art grec et romain. Nommé à la tête de l’Académie de France à Rome, il allait imposer cette recherche à ses élèves, parmi lesquels Fabre mais surtout David. « J’ai entrouvert la porte, David l’a enfoncée », dira-t-il plus tard. Parmi les exercices obligés figuraient les “ académies ”, études d’après modèles vivants, dont Vien fut un des initiateurs. Le parcours proposé par le musée Fabre (à l’aide de cartouches bleus) à partir de la galerie des Colonnes, permet de discerner ces évolutions. Celles-ci furent observées attentivement par le philosophe et critique d’art Diderot, qui exprime dans ses Salons, publiés entre 1759 et 1781, les émotions et les idées que suscitent ces grandes expositions annuelles. Comme Vien, il rejette la peinture licencieuse et l’affèterie. Il voudrait que l’art soit à la fois réaliste et édifiant. A partir de 1775, il soutient Vien et David dans leur effort pour s’inspirer de l’art antique et exalter la noblesse des vertus. Très vite conquis par David, Diderot est plus critique envers son maître, qu’il trouve trop froid, voire irréaliste. « Un tableau de Vien n’est pas plus en état de soutenir le parallèle avec quelque chef d’oeuvre d’Italie qu’un tableau de Casenove avec un excellent tableau de l’école flamande », écrit-il à son ami Grimm. Le philosophe aurait été surpris de savoir que ce peintre moyen reposerait auprès de Voltaire et de Rousseau. Plus que le génie des Grands Hommes dans leur domaine d’élection, c’est en effet la place qu’ils ont prise dans la construction de la nation qui est honorée dans ce haut lieu de l’identité française. Le parcours proposé par le musée Fabre est une autre façon de rappeler le rôle national joué par notre illustre montpelliérain.
Marie-Noëlle VÉRAN